RELIGIEUX
: L’APOSTOLAT DANS LES PRISONS, QUELLE INTERPELLATION POUR
NOUS ?
Ceci est le résumé de mon
intervention aux deux récollections pour les religieux et
religieuses du diocèse de Dakar, ville et zone rurale.
Nous avons commencé
par la lecture de Luc (4, 18-22) : « L’Esprit du
Seigneur repose sur moi, Il m’a envoyé libérer
ceux qui sont en prison, ouvrir les yeux des aveugles, libérer
ceux qui sont écrasés, apporter la bonne nouvelle de
l’Evangile aux pauvres et annoncer une année de grâce
de la part du Seigneur ». Que faire pour que ce
passage de l’Evangile se réalise aujourd’hui, là
où nous vivons ?
La prison fait
partie de notre histoire chrétienne. Déjà
dans l’Ancien Testament avec les arrestations de Joseph, de
Jérémie et d’Isaie. Jésus lui-même a
été mis en prison, torturé et mis à mort.
A sa suite, Pierre et Paul ont été aussi emprisonnés.
La prison fait vraiment partie de notre foi.
Personnellement
je suis très reconnaissant envers les prisonniers. J’ai
eu l’occasion de commencer à intervenir dans les prisons
de Rebeuss dans les années 1950, lorsque j’étais
scout à la 2° Dakar. Tout au long de ma vie missionnaire,
j’ai cherché à soutenir les prisonniers, là
où je me trouvais. De retour au Sénégal, je suis
d’abord intervenu au camp pénal de Liberté 6,
chez les hommes et les femmes. Actuellement, je vais chaque jeudi à
la prison des femmes de Rufisque. Je suis très reconnaissant
aux détenus pour ce qu’ils m’ont appris : le
courage dans les difficultés de la vie, la solidarité
entre eux, le partage, non seulement de nourriture mais de conseils
et des encouragements. Et aussi la conversion, la volonté de
changer de vie, et de réfléchir à ce que l’on
a vécu.
J’ai été
très marqué par de nombreux partages d’Evangile
vécus avec les prisonniers. Je citerai simplement ce passage
d’Evangile, la guérison du paralysé (Luc
5,17-26). Les détenus ont dit : Jésus nous pardonne,
nous aussi. Quel que soit le mal que nous avons fait, nos péchés
sont pardonnés. Il nous dit à nous aussi : Lève-toi
et marche. Et ils ont cherché comment vivre cela, même
s’ils ne peuvent pas sortir de la prison : comment se
lever et marcher vers les autres, dans la prison où ils sont.
Et comment se soutenir les uns les autres, comme les quatre amis qui
apporté le paralysé à Jésus, en disant :
c’est notre travail d’apporter les autres prisonniers
jusqu’à Jésus. J’ai beaucoup apprécié
qu’à l’entrée de la salle d’accueil
des familles au Camp Pénal de Liberté 6, dans un pays à
majorité musulmane, on ait affiché ces paroles du pape
Clément 9 : « soumettre les individus malhonnêtes
au châtiment, cela ne sert à rien, si on ne les rend pas
honnêtes par l’éducation ».
Notre action dans
les prisons s’appuie sur Matthieu 25,31-46, le jugement
dernier. A la fin du monde, Jésus nous demandera «
J’avais faim, est-ce que tu m’as donné à
manger ? J’étais malade, est-ce que tu m’as
visité ? J’étais en prison, qu’est-ce
que tu as fait pour moi ? J’étais étranger,
est-ce que tu m’as accueilli ». En prison, beaucoup de
prisonniers sont nus Ils n’ont même pas d’eau
potable à boire. Il y a beaucoup d’étrangers,
tous ont faim. Il y a beaucoup de malades. Il ne s’agit pas
seulement de charité : aller les aider, parce que nous
sommes bons. Jésus nous dit : « tout ce que tu fais à
l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est
à moi que tu le fais ». L’engagement en prison
ce n’est donc pas seulement d’aider les prisonniers, mais
c’est de reconnaître en chacun d’eux, un petit
frère ou une petite sœur de Jésus qui a sa
dignité, et qu’il faut respecter à tout prix.
C’est là que doit être notre premier engagement.
La punition de la
prison, c’est la privation de liberté, et c’est là
déjà une très grande punition : ne pas pouvoir
sortir, ne pas pouvoir faire ce que l’on veut, ne pas pouvoir
vivre en famille, ne pas pouvoir rencontrer ses amis. La punition en
prison ne doit pas être le manque de nourriture ni le manque de
soins. Le détenu reste une personne humaine, un frère
de Jésus, un enfant de Dieu. Quelles que soient les mauvaises
choses qu’il a faites, il a le droit au respect. Il ne s’agit
pas de l’humilier, encore moins de le frapper, mais de
l’aider à retrouver sa dignité. Les droits
humains sont aussi valables pour les détenus, comme pour tous
les autres hommes du monde entier. Or nous savons bien que dans nos
prisons, les détenus vivent dans des conditions absolument
inhumaines et dégradantes. Les détenus se retrouvent à
plus de 100 personnes dans une chambre, obligés de coucher par
terre, et même en quinconce, parce qu’ils n’y a pas
assez de place. Avec des toilettes ouvertes à l’intérieur
de la chambre. Et lorsque tu te lèves pour aller aux toilettes
la nuit, d’abord tu te fais insulter et frapper parce que tu
marches sur les autres. Et tu ne peux plus revenir te coucher, parce
que les autres se sont desserrés, et ils ont pris ta place
pendant ce temps. Il y a vraiment beaucoup de choses à faire,
pour avoir un minimum de dignité en prison.
L’aumônerie
catholique
Trop souvent,
l’aumônerie catholique ne s’occupe que des
chrétiens. Et même pour les chrétiens, on ne
prend en compte que leur vie chrétienne, et non pas leurs
besoins primaires. On va dans les prisons pour prier le chapelet,
faire la catéchèse et dire la messe. C’est
important, mais il y a tellement d’autres besoins à
satisfaire. La première chose, c’est d’abord
de nous abaisser devant les prisonniers, comme Jésus a lavé
les pieds de ses apôtres. Et de les accueillir avant de vouloir
les aider. Jésus disait à ses apôtres : «
Celui qui vous accueille, c’est Moi qu’il accueille »
(Mat 10,40-42). Les prisonniers ont beaucoup de choses à nous
apprendre. Les prisonniers nous évangélisent.
Il y a six ans, une
religieuse d’Afrique du Sud, camerounaise d’origine,
responsable au niveau de l’Afrique des aumôneries de
prison, est venue nous donner une formation. Suite à cette
formation, avec l’abbé Adrien Sarr à Liberté
6, nous avons mis en place différentes commissions pour
prendre en charge toute la vie des détenus, pas seulement des
chrétiens mais de tous les prisonniers. Je pourrai vous
fournir les cahiers de charge de ces commissions, et leurs
explications. Je ne fais que les énumérer aujourd’hui.
* La commission
juridique, pour aider les détenus qui n’ont pas les
moyens d’avoir un avocat, entrer en relation avec
l’administration pénitentiaire, et leur permettre d’être
jugé le plus rapidement possible. Car certains doivent
attendre de très nombreuses années avant d’être
jugés, et parfois être déclarés innocents.
Ou être condamnés à une peine plus courte que le
temps qu’ils ont déjà fait en prisons. Ensuite,
assister à leur jugement,
* La commission
économique, pour aider les détenus dans leurs
besoins matériels en nourriture, en médicaments, et
aussi par exemple en lunettes, en habits et pour tous les autres
besoins matériels.
* La commission
culturelle, pour assurer une éducation et une réflexion
avec des projections, des conférences, des débats. Et
aussi des cours d’alphabétisation et l’organisation
de la bibliothèque dans la prison.
* La commission
formation pour aider les détenus à apprendre un
métier. Pour cela, nous avons fait venir des outils, du
matériel et des ordinateurs pour la formation à la
sculpture, à la peinture, à la petite mécanique,
à l’électricité, à la soudure, à
l’informatique, etc. Pas seulement pour occuper les détenus,
mais pour leur donner les bases pour pouvoir travailler à leur
sortie. Comme nous n’avions pas les moyens de payer des
formateurs, nous avons demandé aux détenus ayant un
métier de former les autres bénévolement.
Beaucoup ont accepté de le faire.
* La commission
liturgique pour les prières et l’animation
spirituelle des chrétiens, mais aussi des non chrétiens
qui le demandent, dans le respect de leur religion.
. La commission
de réconciliation pour essayer de réconcilier les
détenus avec leurs familles. Car certaines familles les
rejettent complètement, et refusent de les aider, et même
de leur parler. Et certaines femmes demandent le divorce. Et aussi la
réconciliation avec leurs victimes. Cela est très
difficile, mais nous avons vécu des rencontres de pardon très
fortes, et absolument extraordinaires.
* La commission
des relations extérieures et de réinsertion : aider
les détenus à rester en relation et avoir des nouvelles
de leurs familles, et en donner à leurs familles. Surtout
préparer la réinsertion. Car lorsqu’un prisonnier
est libéré, on ouvre la porte, on le met dehors, et il
doit se débrouiller par lui-même. Et parfois sa famille
refuse de le recevoir. C’est tout cela que nous devons prendre
en compte dans une aumônerie de prison, pas seulement la prière
et l’Eucharistie.
* La commission
de l’écoute, pour écouter ceux qui veulent
parler avec nous. Il n’est pas question de leur faire de la
morale, ni même de les conseiller. Mais simplement de les
écouter. Car quand quelqu’un peut parler de ses
problèmes dans la confiance et l’amitié, il fait
sortir ce problème de lui-même, et il se libère.
Bien sûr, pour cette écoute, nous avons dû
recevoir une formation, qui nous a été donnée
par une religieuse psychologue travaillant au Sénégal.
Toutes
les bonnes volontés peuvent agir pour les prisonniers.
Comme je le disais,
c’est une religieuse camerounaise qui nous a formés à
l’écoute. Les scouts autrefois allaient souvent dans les
prisons. Je ne sais pas s’ils continuent à le faire
aujourd’hui. Il y a beaucoup d’étrangers dans les
prisons, nous avons donc besoin de religieuses qui parlent l’anglais,
le portugais, et les autres langues étrangères. J’ai
connu ainsi de nombreuses personnes qui sont intervenues. A
Saint-Louis, deux femmes faisaient l’alphabétisation en
français : une allemande et une italienne. Et une
portugaise a lancé un atelier de reliure. Car dans les prisons
des hommes, une présence féminine est très
importante.pour aider les détenus hommes à garder leur
équilibre. Il y a certainement une place et un rôle
importants pour les religieuses dans ce domaine.
Même
si on n’intervient pas directement à la prison,
il est important de soutenir la Caritas et les commissions Justice et
Paix, pour qu’elles prennent leurs responsabilités dans
ce domaine. Mais là encore, il y a trop peu de religieux et de
religieuses à la Caritas et à Justice et Paix.
Un
certain nombre de groupes chrétiens interviennent dans les
prisons, à Noël et à Pâques. C’est une
bonne chose, cela permet aux détenus de vivre ces fêtes
et d’avoir un peu de joie. Mais est-ce qu’on peut se
contenter de cela. On donne un bon repas à Noël aux
détenus, mais qu’est-ce qu’ils vont manger par la
suite ? Ce qui est important c’est intervenir tout au long
de l’année de façon régulière et
soutenue. Par exemple dans ces chorales et dans ces groupes,
charismatiques ou autres qui vont à la prison à Noël
et à Pâques,
il y a des avocats, il y a des médecins, il y a des
enseignants. Nous
leur avons souvent demandé d’aider les détenus.
Par exemple, pour les avocats, de prendre en charge bénévolement
un détenu, un seul, qui n’a pas de moyen. Pour les
enseignants, de venir faire des formations. Pour les médecins,
de venir une fois par semaine, ou même une fois par mois, à
tour de rôle, pour des consultations gratuites, en amenant des
médicaments. Mais nous n’avons jamais reçu de
réponses positives. Les gens viennent seulement à Noël
et à Pâques et ils disparaissent, malgré tous nos
appels. Même les agents de la santé catholique
n’interviennent pas dans les prisons, malgré nos
demandes. Pourtant, il y a des problèmes de santé très
graves dans les prisons. Et les religieuses qui travaillent dans la
santé sont nombreuses.
Notre
responsabilité s’étend aussi au niveau de toute
la société.
Par exemple, en juillet nous allons élire nos députés.
Est-ce qu’ils vont se sentir concernés par les prisons ?
Heureusement, ils ont augmenté le montant la pension
alimentaire de chaque jour pour les prisonniers. Cela est une bonne
chose, c’est dans ce sens qu’il faut intervenir.
Quelles
conclusions tirer de tout cela ?
Même
si nous n’intervenons pas en prison, quels que soient les lieux
où nous travaillons, et même déjà dans
notre propre communauté, il est important que nous ayons le
même courage, la même solidarité, la même
volonté de nous convertir,
que les détenus en prison. C’est important que nous
partagions la Parole de Dieu, dans des vrais partages d’Evangile,
et pas seulement réciter des prières, dans les
différents groupes et activités auxquels nous
participons. Que nous sachions reconnaître Jésus Christ,
pas seulement dans les prisonniers, mais dans tous ceux que nous
rencontrons. Que nous sachions respecter les droits, pas seulement
des détenus mais les droits des pauvres, des petits, des
handicapés, des malades psychologiques, des veuves, des
orphelins, des chômeurs, des employés de maison, et de
tous ceux dont les droits ne sont pas respectés. Que nous
sachions travailler pour défendre la liberté et la
dignité de tous les hommes. Que nous sachions accueillir et
écouter ceux qui ont des problèmes autour de nous. Que
nous sachions apporter une présence féminine là
où nous vivons, et là où nous sommes engagés,
pour aider tous les hommes et toutes les femmes à vivre leur
sexualité d’une manière épanouissante. Les
détenus nous enseignent, les prisonniers nous évangélisent.
Est-ce que nous sachons les accueillir ?
Le
travail dans la société : Le travail
d’une aumônerie de prison ne se limite pas à
l’intérieur de la prison. Comme je le disais, il faut
préparer le retour en famille, la réinsertion et la
formation professionnelle des détenus. Il est donc important
de prendre contact avec les
familles des détenus,
pour qu’elles acceptent de les recevoir à leur sortie.
Et surtout connaître la situation des familles. Car ceux qui
souffrent le plus, ce ne sont pas les prisonniers, ce sont leurs
femmes et leurs enfants. Quand le chef de famille est en prison,
souvent la mère n’a pas de revenus financiers. Elle ne
peut pas payer le loyer, elle est chassée de la maison. Elle
ne peut plus payer les études, les enfants ne vont plus à
l’école, ils doivent se débrouiller pour trouver
à manger chaque jour. Il est donc important de chercher à
connaître les familles des détenus. Nous ne pouvons pas
tous aller dans les prisons. D’ailleurs cela devient de plus en
plus difficile. Même les aumôneries ont beaucoup de peine
à obtenir les autorisations nécessaires, pour
travailler dans les prisons. Mais nous pouvons aider leurs familles,
pas seulement au niveau matériel mais au niveau psychologique.
Ce n’est pas facile pour une femme de continuer à vivre,
et d’éduquer seule ses enfants, quand le père de
famille est en prison. C’est pourquoi, comme je le disais, un
certain nombre de ces femmes demandent le divorce, et même se
remarient.
Il
est très important d’encourager
le personnel des prisons.
Leur travail est très difficile. Il demande beaucoup de
dévouement, et aussi beaucoup de sagesse, pour ne pas se
laisser prendre par la violence et par la méchanceté.
Eux aussi ont besoin d’être soutenus. Je suis heureux de
savoir que maintenant il y a une formation spéciale pour le
personnel des prisons. Car jusqu’à l’année
dernière, ils étaient formés dans les écoles
de police, et donc ils se conduisaient comme des policiers à
la prison, et non pas comme des éducateurs. Je tiens à
remercier ici, en particulier le personnel féminin des
prisons. Par exemple à la prison des femmes de Rufisque où
j’interviens actuellement, le personnel est vraiment très
proche des femmes. Elles essaient de tout faire pour leur arranger la
vie, pour les aider, les encourager et les soutenir. Bien sûr,
il faut garder la sécurité et observer les règlements
des prisons. Mais cela peut se faire d’une façon
humaine.
C’est
important aussi d’intervenir auprès des
avocats.
Il a trop d’avocats qui demandent des sommes importantes,
jusqu’à 500 000 frs, pour prendre en charge et
soi-disant défendre un prisonnier. Ensuite, ils disparaissent.
Ils changent même leur numéro de téléphone.
On ne peut plus les contacter. C’est vraiment des cas de
malhonnêteté, de détournement d’argent et
de corruption que l’on retrouve très souvent
Nous
avons donc tous à nous engager pour qu’il y ait plus de
sérieux, de conscience
professionnelle, de bonne gouvernance dans la société.
Et
de lutter contre la corruption, le vol et les détournements
d’argent. Car ces problèmes on les rencontre aussi dans
les prisons. Ainsi au Camp Pénal, la coopération turque
avait offert un fauteuil pour les
dentistes,
pour soigner les détenus. En effet, avec la mauvaise
alimentation, les problèmes dentaires sont très
nombreux. L’infirmier quand il a pris sa retraite est parti
avec tout le matériel dentaire. Avec des dentistes de la ville
qui ont fait des cotisations volontaires, nous avons acheté un
nouveau matériel. Lorsque tout le matériel a été
en place, et que ces dentistes étaient d’accord pour
intervenir gratuitement à tour de rôle pour soigner les
dents des détenus, le directeur de la prison a demandé
que l’on soigne d’abord le personnel des prisons et leurs
familles, avant les prisonniers. Bien sûr ces dentistes
bénévoles ont refusé, en disant qu’ils
venaient pour les prisonniers mais pas pour les familles du
personnel. Du coup, les détenus n’ont pas été
soignés. De même, le directeur d’une prison est
parti en stage au Congo en emportant
tout l’argent
(les pécules) des prisonniers.
Avec
l’aide des anciens scouts de la 2ème
Dakar vivant en France, nous avons reçu un container de 30
tonnes. Non seulement de la nourriture, mais aussi des
outils et du matériel informatique.
Cela nous a permis, avec les cotisations et le soutien de personnes
sur Dakar, de fournir du matériel pour les différents
ateliers de la prison. Et d’ouvrir une salle informatique.
Malheureusement de nombreuses personnes du personnel ou de
l’extérieur sont venues dans cette salle, visionner des
vidéos pornographiques avec des clés pleines de virus.
Actuellement la salle informatique ne fonctionne plus, et ce sont les
détenus qui en payent les conséquences.
De
même, nous avons connu une directrice de prison, encore jeune,
qui se permettait de mettre les prisonnières même âgées
à genoux et même de les
frapper devant tout le monde,
lorsqu’elles ne suivaient pas le règlement. Heureusement
elle a été rapidement remplacée. C’est
donc tout ce travail d’éducation, de formation qu’il
faut continuer à faire, chacun là où nous
vivons.
Attaquer les
causes
Mais
surtout il
faut attaquer les causes.
Il vaut mieux prévenir que guérir C’est très
bien d’intervenir en prison, mais il faut surtout agir pour
éviter que les gens n’aillent en prison. La grosse
majorité des femmes qui sont en prison, quand ce ne sont pas
des questions de drogue, c’est pour des questions
d’avortement ou d’infanticide.
D’abord, je suis absolument opposé à ce que l’on
mette en prison des femmes qui ont avorté, et même
celles qui ont tué leurs bébés. Car si elles
l’ont fait, ce n’est certainement pas par plaisir mais
parce qu’elles étaient complètement abandonnées
et sans soutien. Une femme qui a avorté, et surtout si elle a
tué son bébé, elle sait très bien que ce
qu’elle a fait n’est pas normal. Elle est la première
à le regretter, et à en souffrir énormément
psychologiquement. J’en suis témoin chaque jour. Elles
n’ont pas besoin de condamnation, encore moins de punition,
mais de soutien. Que faisons-nous pour soutenir les femmes enceintes,
qui ont des problèmes pour accueillir une nouvelle naissance ?
Et pour une saine régulation des naissances ? Pour
conseiller les parents, qui chassent leur fille de la maison, si elle
est enceinte. Où va-t-elle aller ? Que va-t-elle faire ?
Quelle éducation sexuelle donnons-nous aux élèves
dans nos écoles ?
De
même, ce n’est certainement pas la solution de mettre les
homosexuels
en prison. Ce n’est pas cela qui va les aider à vivre
leur sexualité, et certainement pas aider les autres détenus.
Ils risquent au contraire de faire grandir l’homosexualité
à l’intérieur même de la prison. Ce qui se
passe déjà assez souvent, même si on veut cacher
les réalités. De même que les cas de Sida.
Il
est sûr que le yamba est une drogue,
et qu’il faut tout faire contre son utilisation. Mais je ne
pense pas normal de mettre à égalité une maman
qui vend du yamba pour avoir un peu d’argent, ou un jeune
triste et désemparé qui fume du yamba, et des grands
trafiquants qui utilisent des femmes qu’on appelle des mules,
qu’on utilise pour vendre de l’héroïne et de
la cocaïne, qui rapportent énormément d’argent
sale, et qui sont des drogues dures aux conséquences très
graves. Avoir criminalisé sans distinction l’utilisation
de toutes les drogues, aussi bien le yamba (marijuana, cannabis) que
les drogues dures, a rempli complètement les prisons avec
toutes les conséquences dont j’ai parlé. Il
vaudrait mieux faire payer des amendes à ceux qui utilisent le
yamba. D’abord, cela rapporterait de l’argent, et la
punition serait sûrement plus efficace et plus éducative,
que de mettre en prison des jeunes pris à fumer un joint, ou
même à vendre quelques cigarettes de yamba, ensemble
avec de grands criminels. Entrés comme des petits délinquants,
ils ressortent comme des grands bandits.
Certains
jeunes et adultes se retrouvent en prison, parce qu’ils ont tué
des camarades ou même des parents. Drogués, ils vont
même tuer un camarade pour une cigarette ou une somme de 100
frs à la suite d’une bagarre, où ils sortent. Il
est donc essentiel
que nous luttions contre la violence,
que nous travaillions à l’éducation des jeunes en
commençant par les enfants. Et que nous soutenions les
familles pour cela. Il y a trop de violences dans notre pays. Cela
commence par les violences verbales et les insultes, cela se continue
par les bagarres, et ça se termine par les crimes et des
morts. Il est absolument essentiel que nous luttions contre cela de
toutes nos forces. Souvent on attaque les parents en disant :
les parents ont démissionné. C’est sans doute
vrai en partie. Mais que fait-on dans nos écoles, même
les écoles catholiques, pour éduquer véritablement
les élèves à la paix. Pas seulement dans les
classes mais dans toute leur vie ? Que font nos mouvements,
comme les scouts et les CV-AV, par rapport à cela ? Et
pourtant ils ont des frères et des sœurs conseillers et
conseillères. C’est important que l’on s’engage
dans ce sens-là.
Il
commence à y avoir dans le pays des boutiques
de droits
pour défendre les droits des gens. Et des maisons de la femme
pour accueillir, défendre, soutenir et donner des moyens de
vivre aux femmes et aux jeunes filles victimes des violences,
qu’elles soient conjugales ou non. Mais très peu de
chrétiens, et encore moins de religieux et de religieuses
participent à ces actions.
Quand
un jeune n’a pas travail et qu’il n’est pas soutenu
par sa famille, il est triste et complètement découragé.
Et s’il n’a rien à manger, il va se mettre à
voler. Pour oublier ses problèmes il va fumer, boire de
l’alcool et se droguer. Et il se retrouvera en prison. La
solution pour les prisonniers ne se trouve pas à l’intérieur
de la prison, mais dans la société. Elle doit passer
par la lutte
contre la pauvreté,
les soutiens et les projets de développement pour les jeunes
et pour les femmes. Cela demande notre engagement dans la société.
Trop souvent, nous sommes engagés seulement dans nos
paroisses. Et même là, notre engagement se limite
souvent à la catéchèse et à la liturgie.
Nous religieux, nous ne sommes pas engagés dans la société.
Et nous n’aidons pas les chrétiens laïcs à
prendre leurs responsabilités dans les quartiers, et dans la
vie de tous les jours. L’année de la miséricorde
est terminée, mais il est important que nous continuons à
agir pour la miséricorde, là où nous vivons. Pas
tout seul mais avec tous, chrétiens ou non.
N.B.
Dans le partage qui a suivi cette présentation, il y a eu des
questions sur les conditions de vie des détenus, la situation
des jeunes en prison, les conditions de vie des bébés
qui sont en prison avec leurs mères, et un certain nombre
d’autres questions. A chacun de cntinuer la réflexion…et
l’action !
P. Armel Duteil